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Éveiller la créativité dès la petite enfance

L’enfant est doté d’une appétence naturelle pour la vie et ses sens sont les premiers canaux qui le connectent au monde et aux autres.

Son besoin d’expression est un élan spontané et avant même d’acquérir le langage parlé, il excelle dans de multiples langages d’expression.

L’enfant est l’acteur, le protagoniste, le récepteur de ce qu’il touche, voit, entend, sent et explore et assimile les expériences en découvrant tout ce qui compose son environnement.

Mais cette prédisposition sensorielle de l’enfant est un défi lancé à notre monde d’adulte. Les lieux, rythmes, situations dans lesquels vivent nos enfants à l’heure actuelle, non seulement abîment et éteingnent les sens, mais tendent à rendre opaques et sourdes les perceptions

Isabelle Guillon Verne, forte d’une longue expérience de la petite enfance et de la pédagogie, nous partage ici ses convictions, dans un propos étayé que nous conseillons à tous ceux et celles qui s’intéressent aux enfants.

L’éducation artistique : une expérience sensible

Qu’est-ce qui nous marque le plus, nous les adultes pensants, lorsque nous prenons le temps de regarder vivre un petit enfant, sans arrières pensées ? 

Sa perméabilité au monde qui l’entoure, son élan enthousiaste ou teinté d’émotions contradictoires pour tout ce qu’il découvre et son désir de communiquer, d’exprimer en dehors ce qu’il ressent au dedans. 

On oublie très vite que l’enfant est doté d’une appétence naturelle pour la vie et ses sens sont les premiers canaux qui le connectent au monde et aux autres. Il naît avec une grande capacité génétique qui lui permet d’explorer, de discriminer et d’interpréter la réalité à travers ses sens.  Sa capacité de perception du monde qui l’entoure est très réactive.

Son besoin d’expression est un élan spontané et avant même d’acquérir le langage parlé, il excelle dans de multiples langages d’expression. Il est même extrêmement réceptif aux langages artistiques développés à travers la musique, le chant, la danse, l’art pictural, la sculpture, parce que ces langages connectent avec ses sens en alerte. On pourrait parler d’une sensibilité artistique présente en latence, d’une pré – disposition au langages artistiques, prête à s’éveiller, à s’éduquer. Il sait, lui, intuitivement, qu’il existe un nombre infini de langages pour exprimer tout ce que nous voulons dire.

L’enfant accède à la connaissance par ses sens.

L’enfant reçoit ses premières informations de l’environnement à travers tous ses sens. Ses sensations et ses perceptions constituent les processus de base de la connaissance et de la conscience de soi. L’enfant est l’acteur, le protagoniste, le récepteur de ce qu’il touche, voit, entend, sent et explore et assimile les expériences en découvrant tout ce qui compose son environnement. (Sons, couleurs, formes, odeurs, matières, saveurs, position du corps dans l’espace). À partir de ses expériences sensorielles, il engrange des perceptions qui activent les processus supérieurs de la connaissance et du langage.

Un défi lancé à notre monde d’adultes

Mais cette prédisposition sensorielle de l’enfant est un défi lancé à notre monde d’adulte. Les lieux, rythmes, situations dans lesquels vivent nos enfants à l’heure actuelle, non seulement abîment et éteignent les sens, mais tendent à rendre opaques et sourdes les perceptions. La sensibilité qui ne se cultive pas s’atrophie et risque d’entraver les capacités et compétences des enfants à habiter le monde autrement, c’est-à-dire des enfants capables d’écoute, de liens constructeurs, d’attention à l’autre et à l’environnement, capables de création et d’expression. 

C’est le travail de Loris Malaguzzi * autour des 100 langages de l’enfant, qui m’a confirmé, dans mon travail d’éducatrice, l’urgence de construire des espaces où l’enfant est respecté et promu avec tous ses langages, avec la prudence et l’attention que mérite l’éducation de tous ses sens. Limiter le développement de l’enfant à un seul langage pour s’exprimer et exprimer ce qui l’anime au-dedans, c’est, sans aucun doute, omettre l’intégralité de l’enfant, corps, cœur, cerveau, esprit, c’est enfermer l’enfant dans un monde unilatéral et lui signifier que pour toutes ses questions sur le monde qui l’entoure et le sien intérieur, il n’existe qu’une seule réponse.

L’éducation artistique invite l’enfant à exister pleinement

L’éducation artistique est donc, avant tout, une expérience qui respecte et cultive tous les sens, alimente les perceptions, invitant l’enfant à exister pleinement. C’est cette expérience qui lui permettra d’entrer peu à peu dans la conscience qu’il est récepteur du monde qui l’entoure, capable d’exprimer avec des émotions ses perceptions, ses sensations, sa vision et sa pensée, autrement que par un langage raisonné. Je crois aussi que, grâce à cette expérience artistique, l’enfant concilie et réconcilie, si besoin est, le corps, le cœur, le mental et l’esprit.

Quand on prend le temps de regarder le tout petit s’exprimer avec liberté, dans un espace qui prend soin de son temps et de ses sens, on remarque très vite une compétence naturelle pour tel ou tel langage d’expression. Certains vont aimer être dans le mouvement, le rythme, les sons, d’autres dans le dessin, les formes, les couleurs, d’autres dans les éléments, la matière, les textures, la construction, la composition, l’espace.  

L’expérience plastique

Prenons l’expérience des arts picturaux qui sont par définition les arts plastiques. Ils regroupent les pratiques permettant  une représentation, choisie, ordonnée, esthétique,  poétique, au travers de formes,  de volumes, de couleurs, de métaphores, de symboles, de mise en scène spatiale. C’est un langage qui prend toutes les formes possibles.

Alors comment l’enfant va-t-il passer de l’élan créateur à l’expression artistique dans le langage des arts plastiques ?

Au regard de mes expériences avec les enfants de 15 mois à 12 ans, j’ai pu observer différentes étapes par lesquelles l’enfant entre dans la manifestation visible de sa recherche et de son expression.

L’Exploration et la Perception

« Les enfants ont dans leurs mains l’art de la recherche »

Maria Montessori parlait du mouvement de la main des jeunes enfants comme des mouvements constructeurs, prolongement de la pensée.

Nous avons tous et toutes été témoins du plaisir que l’enfant éprouve lorsqu’il découvre que ses mains font et défont, créent du lien entre des éléments, premières tentatives de construction, ou de sa tension joyeuse, lorsqu’il peut tenir un crayon et gribouiller sur une feuille de papier ou bien même, de son excitation lorsque sa main pleine de peinture laisse une empreinte de couleur sur le sol.

La main n’est pas seulement un organe exécutif, mais c’est un outil créateur qui répond à notre besoin de créer.  C’est pour cela que l’expérience de l’art pictural n’est pas anodine, ni accessoire. Elle est fondamentale pour permettre à chacun et particulièrement aux enfants dans cette étape de construction de soi, de signifier son existence singulière à l’autre, d’en laisser une trace.   

Au départ, lorsque l’enfant découvre que sa main peut être prolongée par un outil tel que le crayon, un pinceau, ou d’autres éléments, il est dans l’exploration. C’est une forme de laboratoire ou le tracé, la juxtaposition des éléments les uns avec les autres, font partie d’un processus de coordination, de sensations nouvelles, de tentatives.

L’enfant est surtout dans l’exploration de ses sens et tout son corps est investi dans cette nouvelle forme d’expression.  C’est avant tout une expérience qui alimente des sources de plaisirs nourrissant ses perceptions affectives.  Et c’est une étape importante pour explorer tous les possibles. Plus l’exploration de la matière, des supports, des outils, sont riches, plus l’enfant nourrira ses sensations et ses perceptions. Sa pensée se construit au fur et à mesure de ces expériences, en faisant.

On pourrait appeler cela l’éveil artistique ou le le réveil sensoriel. Éveiller la conscience de l’enfant à tous les possibles dans l’exploration des matières, des supports, des outils, c’est lui permettre d’être sujet acteur du monde qui l’entoure, de faire sien le réel et d’en exprimer sa première « vision sensorielle ». Cette étape ressemble à la situation de l’artiste dans son atelier qui farfouille, bidouille, transforme, essaie avant de découvrir le fil conducteur de sa création.

Dans cette élan créateur, l’enfant vit l’expression de sa liberté d’action, de sa pensée et de son émotion, l’invitant à grandir en confiance avec d’autres.  L’adulte est responsable de lui permettre cette exploration dans des espaces sereins et beaux, sans émettre un seul commentaire ou interprétation, pour ne pas réduire la pensée en construction de l’enfant. 

L’interprétation

Puis peu à peu, le geste de l’enfant s’affinant, des formes apparaissent et très vite il comprend que son geste provocant une forme, crée chez l’autre qui regarde une interprétation ; On dirait une fleur ! Tu as construit une grande tour, une maison !

Cette interprétation est une forme de dialogue qui permet à l’enfant de rentrer dans ce désir de communiquer, de raconter, de se raconter. Son tracé, sa composition, racontent quelque chose qui a du sens. Et comme l’enfant est un chercheur de sens, il va multiplier ses formes d’expression pour dire le monde qui l’entoure et en même temps le faire sien.

Le dessin, la peinture, la construction, le modelage, deviennent alors une expression consciente et tangible, réelle, de son besoin d’être au monde et d’être vu.

Le développement de l’imagination

Et c’est très important, car ce qu’il crée dans l’instant sur sa feuille blanche ou avec les éléments, est regardé, apprécié. L’enfant imprime sa singularité dans le réel avec des symboles, des métaphores. Quelque chose d’unique, d’instantané, qui lui appartient.

Alors, très vite l’enfant acquiert, en fonction de sa réalité et de ses expériences de laboratoire, des images mentales, remplies de couleurs, de rythme, de formes, de symboles. Ces créations, dessins, peintures, constructions, compositions, deviennent alors, sans effort le prolongement de sa pensée.

Maelys 4 ans, suite à de nombreux dessins accumulés sur la table : « Maman, et si on faisait une histoire avec tous mes dessins ! »

Dans l’expérience de l’art pictural, l’enfant montre facilement qu’il est   capable d’élaborer des images mentales qui ne sont pas enfermées dans des catégories de pensées rigides. Cette expérience va lui permettre de grandir dans la confiance que tout est possible et que l’art est un langage qui ouvre des horizons, sans forcément passer par le langage parlé. Et il est même reconnu aujourd’hui, que ce processus bien accompagné favorise l’acquisition des mots et enrichit le vocabulaire. 

Construire des opportunités de développement des langages artistiques

Si l’on reconnait que l’enfant est un être compétent, disponible au monde qui l’entoure, doté de sensibilités et ayant soif de communiquer, alors on devrait être attentif à ce que nos espaces éducatifs, les écoles, les villes, nos maisons, soient capables de soutenir et alimenter ses perceptions sensorielles, les affiner et les faire murir. L’environnement joue un rôle important pour permettre de valoriser cette expression naissante.  Il me semble urgent aujourd’hui, dans notre société post moderne, d’avoir une attention particulière à cet élan créateur, pour éduquer ou rééduquer la sensibilité humaine. Les enfants nous donnent tous les jours des signaux d’alerte sur leur mal être, et il ne fait aucun doute que l’expérience artistique ouvre un chemin qui permet de rejoindre leur sensibilité esthétique et leur besoin de poésie, d’imaginaire, de fantaisie, d’harmonie.

Mais c’est un processus exigeant et qui exige du temps.

L’enfant est en attente avec ses sens du lien que nous créons avec le monde car il a besoin de nous pour orienter son élan et sa capacité créatrice et nous avons besoin de lui pour revenir à nos sens, nos perceptions, nos ressentis,  en d’autres terme, pour nous humaniser.

Montessori soutenait que « L’enfant est le créateur de l’homme », doté d’une énergie vitale. Comme l’artiste, il réveille la vie, il la questionne, il l’essai et la transforme, il la recrée et la rénove, si l’on veut bien lui donner du temps, de l’écoute, de l’espace, de la matière, du silence et des langages.

Enrichir, guider, façonner, affiner les sens des enfants pour construire leur capacité d’écoute attentive, d’observation calme, de respect envers toute chose et tout être, est sûrement aujourd’hui une mission phare de l’éducation et peut contribuer grandement à la paix.

Isabelle Guillon Verne

Avec une riche expérience internationale en Afrique, au Québec, en Uruguay, au Chili et en France, elle a lié, dans son parcours, la pédagogie, la créativité et l’art. Éducatrice de Jeunes Enfants, spécialisation Montessori, Animatrice socioculturelle et Pédagogue Théâtrale, professionnelle de terrain formée aux méthodes actives et à la philosophie de Loris Malaguzzi, Reggio Emilia. Elle se consacre aujourd’hui aux formations pour les professionnel-les de l’éducation et aux suivis de projets socio éducatifs à l’international dans les milieux les plus vulnérables des trois continents. « Quand je pense Enfance, je pense un Univers de Possibles, en attente d’hommes et de femmes, capables de Temps, d’écoute, de Paix et de Silence, pour laisser éclore l’inimaginable »

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