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La vie symbolique

La symbolique est présente partout dans la vie ordinaire, et notre époque contemporaine – qui a commencé il y a plusieurs siècles – l’a rangée au rayon réputé inaccessible de savoirs intellectuels plus ou moins ésotériques.
Pourtant, la vie symbolique est indispensable, elle aide à allier le visible et l’invisible de nos vies. Jean-Noël André nous partage son expérience, il a créé un cercle symbolique et met des mots sur ce qui peut sembler lointain, et est pourtant si proche.

La symbolique est présente partout dans la vie ordinaire, et notre époque contemporaine – qui a commencé il y a plusieurs siècles – l’a rangée au rayon réputé inaccessible de savoirs intellectuels plus ou moins ésotériques. Pourtant, cette vie sensible a guidé nos ancêtres depuis les origines, dans tous les aspects de leur vie quotidienne. Ils ont grâce à elle cultivé et transmis des savoirs populaires d’une valeur inestimable, au fondement de toute société. Malheureusement, ces symboles sont trop souvent devenus pour nous semblables à des hiéroglyphes, indéchiffrables : nos yeux s’en détournent, déshabitués de leur lumière.

Le jeu, initiation à la vie symbolique

Enfant, j’aimais beaucoup jouer, et cela me reste encore aujourd’hui. Le jeu est un espace où tout est possible, les mondes visible et invisible se conjuguent en continuité. Quand je jouais à l’avion, les bras tendus comme des ailes, ma bouche émettant un vrombissement de moteur, j’y suis … je vole à 33 000 pieds au-dessus des mers, et si jamais je tombe, je meurs ! Et pourtant, je joue. Ou encore, jeune adolescent à Paris, je me rendais à vélo au lycée Henri IV, en montant la rue Claude-Bernard, je voyais le printemps se manifester à travers les bourgeons qui s’ouvraient sur les platanes, et cela me procurait une joie infinie, comme si ces bourgeons éclataient à l’intérieur de moi et me disaient quelque chose du ciel, me reliaient de la terre au ciel, à la manière de ces arbres qui l’exprimaient si bien.

Ces deux souvenirs traduisent à quel point un enfant a de façon innée la capacité à vivre dans un même souffle les deux dimensions fondamentales de la vie, l’une visible et matérielle, l’autre invisible et spirituelle. Cette capacité à symboliser le monde garde l’enfant dans un désir d’union avec le cosmos, avec l’infini, alors même qu’il vit simplement les choses simples. À l’heure où la science est déifiée ou diabolisée, ce qui revient au même, il est surprenant de voir combien nos contemporains ont soif d’expériences multiples avec le « surnaturel ». Ces aspirations nous indiquent peut-être que notre capacité à symboliser le monde s’est considérablement appauvrie, surtout dans le monde occidental.

Création du cercle symbolique

J’ai été conduit à créer en 2020 un cercle symbolique à Neuville au Québec – je suis Canadien depuis 1995 – avec un ami, Christian Roy. L’objectif de ce cercle est de cultiver la réalité symbolique de nos vies, avec une poignée de personnes d’horizons culturels et religieux bien différents, et pour qui cette dimension est essentielle. Il s’agit de travailler et réfléchir ensemble afin de donner à un public de tous âges des clefs d’accès à la vie symbolique par des enseignements, causeries, ateliers, etc.

L’intuition de ce cercle m’est venue après bien des années où j’ai eu la belle opportunité de partager, de façon discontinue mais intense, la vie des Amérindiens, les Premières Nations d’Amérique du Nord. Ces peuples ont subi des sévices de toutes sortes pendant plusieurs siècles, et cependant, ils ont gardé « leur âme ». Dans leur culture, il est naturel de symboliser la vie quotidienne et de se situer dans l’environnement dans l’instant présent. La nature est un lieu d’enseignement permanent, comme un trait d’union entre la terre et le ciel. Cela se vit de manière toujours concrète et incarnée, par exemple : jouer du tambour, c’est en premier lieu jouer, au sens du jeu; c’est aussi chanter, danser, puisque le corps participe à la joie ou la souffrance apportée par les circonstances de la vie; mais c’est aussi le battement du cœur de la terre, celui de mon cœur, du cœur de chacun; c’est aussi et surtout un espace ouvert qui a du sens. Ainsi, la symbolisation de la vie passe toujours par un acte concret, qui peut au besoin être ritualisé; accueillant l’instant présent, il n’a pas une signification, il a du sens !

tout peut être appris dans l’univers, les secrets les plus cachés s’y découvrent

Marie-Madeleine Davy

Quant à la nature, elle est un grand livre ouvert et plus je la comprends – au sens de prendre en moi – plus elle m’informe sur les secrets, les mystères de la vie, de la création, et plus elle m’enseigne sur qui je suis. Le macrocosme manifesté dans l’univers est analogue au microcosme à l’intérieur de moi, et les deux sont infinis. Marie-Madeleine Davy, une spécialiste des traditions mystiques ainsi que de la symbolique romane, notait : « Tout peut être appris dans l’univers, les secrets les plus cachés s’y découvrent … pour les moines cisterciens, les éléments, le vent, les insectes, les arbres, les fleurs deviennent matière à enseignement. Le papillon est couramment assimilé à un ange ; comme lui, il se nourrit de lumière. Ses ailes lui permettent de capter les énergies cosmiques et de traverser les océans en se nourrissant de la lumière solaire … Les fleurs semblent muettes, cependant leur beauté, leur couleur et leur parfum traduisent leur langage ! Les mystiques demandent aux fleurs comment il convient de glorifier Dieu. »

Caractère universel de la dimension symbolique

Je suis interpellé depuis quelques années par l’analogie entre la symbolique romane, caractérisant la période antérieure au douzième siècle, et celle des Amérindiens. Comme j’habite une partie de l’année à Vézelay, sur la colline éternelle, je constate que la symbolique manifestée dans les chapiteaux, le grand tympan et l’architecture de la basilique célèbre la transparence de la création – minérale, végétale, animale, humaine, imaginale – qui est un continuel échange entre la terre et le ciel. La symbolique amérindienne se traduit de la même façon, comme on l’a vu avec l’exemple du tambour. D’ailleurs, sur un chapiteau de Vézelay évoquant la chasse, il y a un gibier sculpté comme un cerf, et il sourit, exprimant de façon claire qu’il consent à être mangé ; or, dans la culture amérindienne, le chasseur ne tue pas l’animal, c’est l’animal qui offre sa vie.

Devant cette dimension universelle qui caractérise la dimension symbolique de la vie, peut-être sommes-nous à l’heure où il est bon de s’interroger ? N’est-elle pas un muscle que nous avons à faire travailler pour affermir notre conscience de l’instant présent, dans l’espace, ici et maintenant, dans la réalité de ce que je vis ? L’Occident numérisé (il y aurait une réflexion importante à formuler sur le passage des technologies de l’analogique au numérique) contribue à tout morceler, spécialiser, séparer (diabolos en grec, l’antonyme de symbolos!). La terre est réduite à un objet, le ciel et la lune une conquête objectivée.

Allier le visible et l’invisible

Et pourtant, l’Homme ne découvre pas grand-chose; il ne fait qu’imiter ou révéler ce qui existe. Si l’on considère que la vérité scientifique n’est qu’un statut provisoire, relatif, selon l’avancement du savoir, elle n’occulte absolument pas la vérité spirituelle, qui est de l’ordre de la mystique, de l’expérience intérieure, souvent occasionnée par nos intuitions. L’humilité (du mot humus pour le sol comme base de tout ce qui est … humain!) est de rigueur dans le travail scientifique. Les évènements actuels (pauvreté systémique, pandémies, guerres, dérèglements climatiques…) sont là pour nous rappeler que nous ne contrôlons rien, que nous ne maîtrisons pas grand-chose. Nous avons besoin de redonner à la science sa portée symbolique, comme point d’appui parmi d’autres d’une faculté d’émerveillement permettant d’ouvrir sans cesse l’esprit à l’infini, l’aidant à se mouvoir dans cet espace de l’inconnaissable.

La réalité, celle que l’on voit et la part que l’on ne voit pas, se manifeste dans une structure que l’on peut évoquer en images. La difficulté provient de ce que l’on ne peut pas rester au sommet de la montagne cosmique, là où nous attirent nos grandes aspirations, croyances, espérances, visions… Il nous faut toujours redescendre dans la vie de tous les jours, où le chaos n’est jamais loin. Le lien entre la montagne cosmique et le chaos peut être rendu intelligible comme une tension féconde par la vie symbolique, cultivant la capacité à conserver le grand dans le petit, le souffle dans la matière, l’esprit dans la chair. Une part de nous tend vers le haut, une autre vers le bas, l’un n’est pas moins réel ou valide que l’autre, il s’agit de trouver une harmonie entre les deux pôles ; c’est terrien ! C’est le mystère de l’incarnation, corps et esprit, âme et chair. Le cosmique touche à l’illimité, le terrien est le domaine du limité. Le mystère est que nous sommes une sorte de mélange des deux. La vie symbolique nous permet de vivre l’un et l’autre, sans antagonisme, mais en acceptant les tensions.

Chaque élément de la Création, tel un brin d’herbe, peut être décrit à l’infini selon l’aspect que l’on veut observer, de sa structure apparente jusqu’à l’infiniment petit des interactions physico-chimiques. En fait, ce que la vie nous présente est trop vaste pour que nous puissions le contenir avec nos seuls moyens d’appréhension. Nous ne pouvons être attentifs à tout, le monde est trop vaste, et d’ailleurs que ferions-nous du poids mort d’une accumulation indéfinie de détails ? Cela ne saurait répondre à notre quête d’intégrité, un besoin d’orientation selon le sens où les choses se déploient pour intégrer du même mouvement ce tout qu’elles détaillent. Si l’on ne prend pas les moyens d’accéder autrement à la réalité, on demeure dans un espace matériel fini, dans la mort ; d’où le rôle irremplaçable  de ce lien qu’est la vie symbolique, telle qu’elle s’est manifestée depuis que le monde est monde, c’est-à-dire qu’il est symbolisé en tant que tout par la conscience humaine.

Écoute ce que tu ne vois pas encore

Saint Augustin

L’origine, le présent et la fin se rejoignent, car la vie symbolique est réfractaire à la visualisation schématique d’un espace-temps réduit à des séquences linéaires. Pour aller au-delà de cette illusion d’optique, il faut suivre le conseil de saint Augustin d’Hippone : « Écoute ce que tu ne vois pas encore ». Car la vie symbolique redonne au temps une dimension de simultanéité vivante, intuition de l’éternel qui inscrit la vie dans le présent, dans l’instant, dans ce qui est, tout en l’ouvrant à son ampleur devinée. Pour nous guider dans ce voyage, les récits, les mythes, les contes, les légendes de toutes les traditions ancestrales nous sont donnés comme les cartes d’un monde symbolique où, comme en filigrane, transparaît la Réalité.

Christian Roy  né à Québec en 1963, est historien de la culture, traducteur, critique d’art et de cinéma. Il est notamment l’auteur de Traditional Festivals: A Multicultural Encyclopedia (ABC-Clio, 2005), ainsi que de nombreux articles scientifiques et communications sur les courants intellectuels personnalistes au XXe siècle, dont il est un spécialiste reconnu.

Marie-Madeleine Davy (1903-1998) fut notamment l’auteur d’une Encyclopédie des mystiques (Robert Laffont, 1972) de toutes traditions. Spécialiste de la philosophie monastique et cistercienne, elle a fait découvrir cette spiritualité vivante à toute une génération. Docteur en philosophie et en théologie, elle a eu une vie de chercheur universitaire au CNRS où, comme spécialiste du latin médiéval, elle a traduit les textes des mystiques du douzième siècle et publié sur la symbolique romane.

Note sur l’auteur de l’article

Jean-Noël André, ingénieur de formation, est né à Paris en 1954. Dès son plus jeune âge, la haute montagne dans les Alpes a été pour lui un lieu de ressourcement et d’émerveillement. Apprendre à harmoniser son corps entre l’intériorité et l’extériorité engageante de la nature a ainsi constitué une école de vie exigeante. Le Québec est sa terre d’adoption depuis 30 ans et c’est sans conteste l’amitié profonde de personnes de plusieurs nations autochtones qui a développé chez lui un vif intérêt pour la vie symbolique. Il a participé pendant 10 ans à un atelier de création poétique. Il travaille depuis 2018 en France à la Maison du Visiteur de Vézelay, un haut-lieu de l’art roman en Bourgogne, pour collaborer à la création d’un scriptorium. Cette —mission met en évidence la symbolique millénaire qui reliant mystérieusement les tailleurs de pierre du Moyen-Âge aux Premières Nations d’Amérique du Nord, comme un lien entre son pays de naissance et sa terre d’adoption. Il est impliqué dans plusieurs cercles de recherches et de réflexion, notamment sur la vie symbolique et l’économie personnaliste.

Jean-Noël ANDRE

Né à Paris, dès son plus jeune âge la haute montagne des Alpes a été un lieu de ressourcement et d’émerveillement. Apprendre à harmoniser son corps entre l’intériorité et l’extériorité engageante de la nature a constitué une école de vie exigeante. Ingénieur de formation, il a appris à apprendre et depuis quelque 40 ans il est engagé par sa vie personnelle autant que professionnelle dans la rencontre culturelle, interculturelle et artistique. Le Québec est sa terre d’adoption depuis 30 ans et c’est sans conteste l’amitié profonde avec des personnes de plusieurs nations autochtones qui a façonné ses racines et son attachement à ce pays. Il a participé pendant 10 ans, d’abord à un atelier d’écriture puis à un atelier de création poétique avec Jean-Noël Pontbriand, instigateur du département de création littéraire à l’Université Laval de Québec. La poésie est une révélation, elle ne le quitte plus. Chargé de mission depuis 3 ans à la Maison du Visiteur à Vézelay en France, pour collaborer à la création d’un scriptorium ; mission qui met en évidence la symbolique millénaire qui mystérieusement relie les tailleurs de pierre du Moyen Âge aux Premières Nations d’Amérique du Nord et révèle les liens symboliques entre son pays de naissance et sa terre d’adoption. Il est cocréateur et impliqué dans plusieurs cercles de recherches et réflexion notamment sur la vie symbolique – France, Québec, Lituanie, également sur l’économie personnaliste en Bourgogne.

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