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La subsidiarité, pour un art de vivre ensemble

Pour envisager une vie sociale où la personne puisse, en relation, exercer toutes ses capacités créatrices et s’épanouir au sein d’un réseau social vivant, il est nécessaire de s’interroger sur l’organisation de la vie sociale. C’est pourquoi cette intervention de Geneviève dell ‘Acqua dans le cadre d’un congrès sur l’art de la rencontre à Barcelone en 2012 nous paraît toujours d’actualité, et nourrissante.

La sémantique

Commençons donc par une recherche sémantique rapide. Quand la parole est-elle apparue pour la première fois et quel en était le sens?

La première apparition certaine du concept de subsidiarité provient du latin et précisément de la terminologie militaire romaine. La parole subsidium indiquait les troupes de réserve qui restaient à l’arrière du champ de bataille, prêtes à intervenir en aide aux cohortes qui se battaient en première ligne.

Le rôle du subsidium était de courir en aide aux troupes de première ligne qui n’arrivaient pas à s’en sortir toutes seules. Progressivement la parole a acquis le sens d’aide, soutien.

Il est difficile d’imaginer que, lorsque le subsidium pénétrait dans le champ de bataille, les cohortes en difficulté devaient s’en aller et laisser la place aux troupes de réserve, comme si le subsidium avait fonctionné selon la logique de l’ « ôte-toi de là que je m’y mette ».

Le subsidium assumait les caractéristiques d’une intervention non pas de remplacement mais d’intégration de l’effort accompli par la première ligne.

La philosophie politique

Pour faire un lien correct entre le subsidium romain et le principe moderne de subsidiarité, nous étudierons l’évolution de la philosophie politique.

Il n’est pas exclu qu’une idée de subsidiarité ait été déjà présente dans le concept grec de polis. Ce modèle d’organisation de la cité-état prévoyait une participation active des habitants à la vie politique.

Mais nous limiterons notre attention à l’évolution post-romaine, en commençant  par quelques phases de la période 12ème-18ème siècle.

Sa signification au Moyen-Age

Selon le philosophe médiéval Thomas d’Aquin,  le bien commun est le résultat d’une pluralité de rapports interpersonnels au niveau communautaire. Ceux- ci se vivent dans une perspective de solidarité qui refuse le conflit. Chaque personne a la possibilité de se développer et de se réaliser pleinement.

Dans la vision de Thomas d’Aquin, l’homme est l’acteur premier de la construction du bien commun. Mais il n’agit pas de façon totalement autonome car il a besoin du soutien qui lui est offert.

  • par les différentes formations sociales avec lesquelles il est en relation ;
  • en outre, par les pouvoirs publics qui réalisent leurs finalités propres quand ils respectent les finalités naturelles des personnes, des familles et des groupes associatifs, et non pas quand ils les exproprient de leurs devoirs naturels.

Au Moyen-Age l’évolution de la langue et de la politique et de  la sociologie, donne naissance au concept de service. Le passage semble avoir été : esclave -> serf -> serviteur -> service. La relation est entre un seigneur  ou maître et un serf ou serviteur. Elle se concrétise à travers  le service, activité exercée par le serviteur et qui est utile au seigneur ou maître.

Althusius

La conception de l’homme et de son rapport avec l’organisation étatique présentée par Thomas d’Aquin a été reprise au XVIème siècle par le philosophe et théologien calviniste allemand Johannes Althusius. Il conçoit le contrat social aussi bien des petits groupes (famille, corporations…) que de l’état. C’est l’instrument pour transférer aux gouvernants seulement la portion de pouvoir strictement nécessaire pour satisfaire les besoins des co-associés.

Cette pensée est restée en sourdine et a fini en quelque sorte par être écrasée au XVIII siècle, par la ligne de pensée centralisatrice et autoritaire fondée sur l’exaltation de l’omnipotence de l’État.

Hegel et autres

Un des principaux représentants de cette théorie fondée sur l’exaltation de l’omnipotence de l’Etat semble avoir été Hegel. Je citerai la phrase contenue dans ses Leçons sur la philosophie de l’Histoire:

Seulement dans l’État l’homme a une existence rationnelle. Toute éducation tend à ce que l’individu ne reste pas quelque chose de subjectif mais devienne objectif à soi-même dans l’État… Tout ce que l’homme est, il le doit à L’État; seulement dans L’État il trouve son essence.

C’est de ces positions philosophiques que dériveront plus tard les conceptions politiques qui furent à l’origine du fascisme. L’Homme n’y a pas d’autres droits que ceux qui lui sont concédés par L’État. Celui-ci dispose donc aussi du pouvoir de les modifier et même de les supprimer (lois raciales, parti unique, interdiction d’associations variées, par exemple le scoutisme, etc)

La doctrine sociale de l’Église catholique

A la fin du XIXème siècle, le concept de subsidiarité entre implicitement dans la doctrine sociale de l’Église catholique, par l’Encyclique « Rerum Novarum » . Elle défend le droit-devoir des associations de travailleurs à participer activement à la réalisation du bien commun à travers leur engagement à défendre et représenter le monde du travail.

Quarante ans plus tard, Pie XI célèbre l’anniversaire de la Rerum Novarum par une nouvelle encyclique « Quadragesimo Anno » . Elle donnera finalement un nom et une définition au principe de subsidiarité.

Alors qu’il s’interroge sur la nécessité d’une réforme des institutions , Pie XI déclare dans le chapitre 5 de la seconde partie intitulée « Restauration de l’ordre social » :

Il est vrai sans doute, et l’histoire en fournit d’abondants témoignages, que, par suite de l’évolution des conditions sociales, bien des choses que l’on demandait jadis à des associations de moindre envergure ne peuvent plus désormais être accomplies que par de puissantes collectivités. Il n’en reste pas moins indiscutable qu’on ne saurait ni changer ni ébranler ce principe si grave de philosophie sociale : de même qu’on ne peut enlever aux particuliers, pour les transférer à la communauté, les attributions dont ils sont capables de s’acquitter de leur seule initiative et par leurs propres moyens, ainsi ce serait commettre une injustice, en même temps que troubler d’une manière très dommageable l’ordre social, que de retirer aux groupements d’ordre inférieur, pour les confier à une collectivité plus vaste et d’un rang plus élevé, les fonctions qu’ils sont en mesure de remplir eux-mêmes.

L’objet naturel de toute intervention en matière sociale est de « subisdium afferre » (c’est-à-dire de soutenir et d’aider)  les membres du corps social, et non pas de les détruire ni de les absorber. Que l’autorité publique abandonne donc aux groupements de rang inférieur le soin des affaires de moindre importance où se disperserait à l’excès son effort ; elle pourra dès lors assurer plus librement, plus puissamment, plus efficacement les fonctions qui n’appartiennent qu’à elle, parce qu’elle seule peut les remplir ; diriger, surveiller, stimuler, contenir, selon que le comportent les circonstances ou l’exige la nécessité.

La constitution italienne

Une référence à la Constitution italienne peut enrichir le discours sur la subsidiarité.

Le mot subsidiarité n’intervient qu’en 2001 lors de la réforme du titre V de la deuxième partie consacrée aux rapports entre l’État et les « autonomies territoriales » c’est à dire les régions, les provinces et les communes.

Il apparait dans l’article 118 comme principe régulateur de l’exercice des fonctions administratives entre les différents niveaux institutionnels intéressés à l’application concrète des lois nationales et régionales, donc dans le cadre de la « subsidiarité verticale »  sur laquelle je reviendrai en parlant des deux visages de la subsidiarité.

Cependant, on trouve déjà l’idée même du principe dans les deux articles de la première partie du texte constitutionnel qui expriment le mieux les fondements philosophiques du système politique italien, les articles 2 et 3 :

Article 2. La République reconnaît et garantit les droits inviolables de l’homme aussi bien en tant qu’individu que dans les formations sociales où se développe sa personnalité, et exige le respect des devoirs impératifs de solidarité politique, économique et sociale

Article 3. Tous les citoyens ont même dignité sociale et sont égaux devant la loi, sans distinction de sexe, race, langue, religion, opinions politiques, conditions personnelles et sociales.

C’est le devoir de la République d’éliminer les obstacles d’ordre économique et social qui, dans la mesure où ils limitent concrètement la liberté et l’égalité des citoyens, empêchent le plein développement de la personne humaine et la participation effective de tous les travailleurs à l’organisation politique, économique et sociale du Pays.

L’article 2 va permettre de considérer la subsidiarité comme la sœur jumelle de la solidarité. En effet, le social qui touche à la relation interpersonnelle, ne peut pas  se construire sur l’individualisme. Au contraire, il s’appuie sur une  forte  solidarité entre tous les acteurs de la relation sociétale.

Les deux visages de la subsidiarité

Sur un plan moins philosophique et plus juridique, le principe de subsidiarité assume une double signification; en effet, il indique:

  • d’une part, un paradigme qui organise  les rapports entre l’État, les formations sociales, les individus. On l’indique alors par l’expression « subsidiarité horizontale »
  • d’autre part, un critère de distribution des compétences et des fonctions entre l’État et les autonomies territoriales institutionnelles. Il porte alors le nom de « subsidiarité verticale »

Subsidiarité horizontale

C’est sur le premier niveau qu’il conviendra d’insister maintenant. Il s’agit du sens le moins connu où se manifestent les principales résistances idéologiques et les interprétations les plus discutables.

Dans ce sens le principe affirme que l’État intervient seulement quand l’autonomie des citoyens apparaît comme insuffisante ou inefficace. Il s’oppose, de ce fait, à l’idée d’une citoyenneté de participation qui se contenterait d’offrir un espace tendant seulement à faire l’inventaire des besoins et des attentes de soutien exprimés par la population concernée.

Une culture de la responsabilité

Il veut au contraire promouvoir une citoyenneté d’action et d’engagement personnel et collectif qui entend valoriser la génialité créatrice des individus et des formations sociales en vue de la réalisation effective du bien commun.

Grâce à lui est reconnu le droit d’initiative de la personne dont on affirme en même temps la responsabilité sociale. Cela conduit à la reconnaître en tant que protagoniste de la vie associative, sujet capable -dans la libre association avec d’autres personnes- de répondre aux exigences et besoins de la communauté humaine.

Cela ne signifie pas pour autant que le principe de subsidiarité prône le libéralisme maximum possible ou « l’État minimum« . Car le raccord nécessaire entre subsidiarité verticale et horizontale implique la nécessité d’une intervention promotionnelle, coordinatrice et même ordinatrice de l’État en vue de l’encouragement et de l’accroissement d’une culture de la responsabilité de la part de tous les participants à l’expérience humaine.

Cela va alors nous conduire à poser une double question:

  • qui se trouve sur l’axe vertical et qui sur l’axe horizontal?
  • et comment est-il opportun que se déroule le raccord, la rencontre,  entre les différentes composantes des deux axes?

Geneviève NINNIN

Geneviève Ninnin dell'Acqua débute sa formation avec un DES de droit public de la faculté de Dijon. Après un début de carrière en France, elle s’installe à Milan en Italie, où elle poursuit sa carrière. Elle acquiert un diplôme de coordinateur pédagogique en travail social. Elle a enseigné le droit constitutionnel et la législation sanitaire et sociale dans des universités lombardes pendant 30 ans et a été membre fondateur de l'Association Pedagogia Globale.

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