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Les « bêtes, animaux symboliques, réels ou imaginaires ?

Jean-Noël André propose une méditation sur le thème du Bestiaire, sous l’angle de la relation, riche et ambiguë, que l’être humain entretient avec l’animal. Quelles sont ces bêtes réelles ou imaginaires qui partagent notre existence ?
Présentes à toutes les époques et dans toutes les civilisations, la représentation des bêtes symbolise l’unité du vivant, le lien avec le cosmos, le passage de l’intérieur à l’extérieur, ou du matériel au divin
Jean-Noël évoque ici particulièrement le monde amérindien et le monde médiéval, mais élargit à d’autres exemples, par exemple dans l’antiquité.
Une évocation salutaire pour une période où les points de repère ont souvent été perdus.

Le Bestiaire Humain

En décembre 2023, à Neuville au Québec, le Cercle symbolique du Vieux Couvent animait une journée sur le thème du Bestiaire, sous l’angle de la relation, riche et ambiguë, que l’être humain entretient avec l’animal. Quelles sont ces bêtes réelles ou imaginaires qui partagent notre existence ?

Il est étonnant de voir se dégager  une même force symbolique  des sculptures ornant les églises romanes du 11e ou 12e siècle en France , que dans des sculptures inuites du Grand Nord canadien .

On peut également évoquer la représentation du dieu funéraire égyptien Anubis, à tête de chacal, puisque le chacal rôdait très souvent dans les cimetières Les signes du zodiaque qui relient le ciel et la terre à travers des constellations aux figures souvent animales se retrouvent aussi bien dans des églises que dans  des temples indiens ou égyptiens, et jusqu’en Chine.

L’ours, médiateur avec les mondes supérieurs

Les Premières Nations d’Amérique du Nord (comme d’ailleurs de nombre d’autres cultures des mêmes latitudes en Eurasie) ont une considération particulière pour l’ours, qui possède un squelette similaire à celui de l’être humain, et joue donc un rôle comparable de médiateur avec les mondes supérieurs. Chez le peuple innu, lors de la chasse à l’ours, une fois l’animal mort, on lui fabrique une pipe en écorce de bouleau avec du tabac allumé. L’ours est alors invité à fumer avec les chasseurs afin que la fumée du tabac remonte vers le Créateur. Cet acte permet à l’esprit de l’ours de lui rendre grâce pour la vie qu’il donne en abondance.

Dans la tradition des Anciens, notamment chez les peuples indo-européens, la Grande Ourse permet de situer l’étoile polaire, un point fixe dans le ciel, offrant un repère qui est à la fois une image céleste, animale et humaine, tout cela en une seule représentation.

L’offrande de la vie

Dans la basilique de Saulieu, en Bourgogne, plusieurs chapiteaux montrent l’ours présent dans des scènes de chasse, dans un contexte où il était encore considéré comme le roi des animaux. Également en Bourgogne, dans la basilique de Vézelay, un chapiteau représente une scène de chasse, un jeune seigneur à cheval avec un molosse en laisse, faisant face à un cerf qui semble traqué et qui pourtant sourit ! Il n’a visiblement pas peur et semble offrir sa vie au chasseur. De même au Québec, dans la chasse traditionnelle des Premières Nations, ce n’est pas le chasseur qui tue l’animal mais l’animal qui offre sa vie. On retrouve d’ailleurs cette même compréhension de la chasse chez les autochtones de Sibérie (cf. À l’est des rêves de Nastassja Martin). Étonnante inversion où l’être humain se retrouve débiteur de la nature qui s’offre à lui et qui l’appelle à dire merci, à rendre grâce pour la vie donnée, ce qui rejoint le sens du mot grec « eucharistie ».

Nous réalisons déjà que le rapport de l’être humain à l’animal, dans nombres de cultures et traditions distantes les unes des autres, nous amène à nous situer de façon très incarnée entre ciel et terre avec une richesse symbolique fructueuse.

Un lien symbolique avec l’univers

Examinons plus profondément sur le plan symbolique la façon dont l’homme et l’animal se situent dans notre vaste univers, en sachant que l’être humain est en fait un animal très particulier, pas comme les autres – la racine anima signifie ce qui est animé, qui a une âme. L’attitude de l’être humain est souvent confuse dans diverses situations, devant des choix à faire par exemple, alors que l’animal vit simplement ce qu’il a à vivre, d’une manière exemplaire. C’est comme si le animaux savaient spontanément se conformer à cet ordre du monde dont parle la philosophe Simone Weil.

Les animaux en général sont gardés à l’extérieur de la maison, et dans les contes ou les histoires, quand un être humain devient animal, ogre, loup-garou, etc, il est toujours à l’extérieur.

Le mythe de la bête, (par exemple la bête du Gévaudan dans l’histoire française, le Léviathan ou la baleine de Jonas dans la Bible, ou encore cette peur du loup ancrée en Europe) est révélateur d’un combat spirituel. La bête n’est pas l’ennemi, elle est l’adversaire qui va permettre de franchir une étape d’humanisation, d’aller plus loin, de passer au-delà, de se rapprocher du centre. 

Haut et bas, intérieur et extérieur

L’être humain est le seul être capable de se situer sur l’axe vertical, au plus haut dans l’amour et la lumière, et au plus bas dans la fange et la misère. Sur l’axe horizontal, la personne se situe au plus près de son être et au plus loin par la compassion, l’empathie. Elle est appelée à habiter le tout de ces axes.
Plus on s’approche du centre, plus on va vers la lumière. Plus on s’en éloigne vers l’extérieur et plus il fait sombre, ce qui n’a rien de négatif – à l’ombre de la lumière ! L’ange Lucifer, porteur de lumière ne veut pas considérer la matière, l’incarnation, il veut rester en haut et il sera précipité en bas.

Pensons aussi à la fraternisation de saint François d’Assise avec le vivant dans la création, ce qu’il y a de plus bas pour le mettre au plus haut. Nous pouvons  aussi évoquer le sermon de saint Antoine de Padoue aux poissons nageant dans l’eau, l’eau étant ce qu’il y a de plus chaotique. Les poissons écoutent la parole du saint et confondent les humains qui ne voulaient rien entendre. Sur cet axe vertical, il s’agit de descendre jusqu’en bas, puis être remonté en haut, pour « être » libre.

De la nature au divin

Dans la culture païenne – païen signifiant le paysan, l’homme du village -, tout peut être une épiphanie de Dieu, du divin qui procède directement de la nature. Dans d’autres cultures, il y a la révélation, par exemple dans les religions du Livre, la Bible. Dans le zoroastrisme, antique religion monothéiste, le Dieu créateur appelle pourtant le culte du feu qui défait les formes comme l’énergie qui les transcende toutes. Enfin, il y a la voie ascétique qui consiste à trouver en soi même le divin.

L’être humain nomme tout ce qui vit, tous les êtres ; or le nom est ce qui livre l’essence d’un être. Ainsi, il a une vision d’ensemble, la capacité de vie ou de mort sur les animaux, même gigantesques, ce qui ne signifie pas qu’il doit s’en prévaloir à la légère. Il a en effet vocation d’intermédiaire, pour opérer un emboîtement sacramentel du matériel et du spirituel. Les membres des Premières Nations d’Amérique du Nord (cf. Teri C. McLuhan, Pieds nus sur la terre sacrée) se considèrent ainsi traditionnellement comme
les êtres qui permettent à la Création, au minéral, au végétal, à l’animal et à toute la vie humaine de rendre grâce au Créateur, de dire merci à la Vie.

Jean-Noël ANDRE

Né à Paris, dès son plus jeune âge la haute montagne des Alpes a été un lieu de ressourcement et d’émerveillement. Apprendre à harmoniser son corps entre l’intériorité et l’extériorité engageante de la nature a constitué une école de vie exigeante. Ingénieur de formation, il a appris à apprendre et depuis quelque 40 ans il est engagé par sa vie personnelle autant que professionnelle dans la rencontre culturelle, interculturelle et artistique. Le Québec est sa terre d’adoption depuis 30 ans et c’est sans conteste l’amitié profonde avec des personnes de plusieurs nations autochtones qui a façonné ses racines et son attachement à ce pays. Il a participé pendant 10 ans, d’abord à un atelier d’écriture puis à un atelier de création poétique avec Jean-Noël Pontbriand, instigateur du département de création littéraire à l’Université Laval de Québec. La poésie est une révélation, elle ne le quitte plus. Chargé de mission depuis 3 ans à la Maison du Visiteur à Vézelay en France, pour collaborer à la création d’un scriptorium ; mission qui met en évidence la symbolique millénaire qui mystérieusement relie les tailleurs de pierre du Moyen Âge aux Premières Nations d’Amérique du Nord et révèle les liens symboliques entre son pays de naissance et sa terre d’adoption. Il est cocréateur et impliqué dans plusieurs cercles de recherches et réflexion notamment sur la vie symbolique – France, Québec, Lituanie, également sur l’économie personnaliste en Bourgogne.

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