Dans notre société actuelle la perception du handicap mental a changé, évolué au cours des dernières décennies. Certes ces personnes sont de mieux en mieux prises en charge et des lois en leur faveur sont mises en place, mais bien souvent, il est difficile à ceux qui ne sont pas en situation de handicap d’établir une relation simple, de ne pas être gênées vis à vis de ces personnes. Nous avons du mal à accepter leur différence, ils nous renvoient souvent à notre propre fragilité et aux questionnements sur la vulnérabilité de nos vies. C’est un miroir qu’il est bien difficile d’assumer.

Par ailleurs, il est souvent question de liberté, d’autonomie, de la capacité de toute personne à faire des choix pour sa propre vie. La vie est souvent basée sur nos capacités de raisonnement, de compréhension et d’analyse des situations que nous vivons, en souhaitant que tout soit bien cadré, sécurisé. Cela me questionne vraiment, car les personnes en situation de handicap mental sont pour beaucoup, dès leur plus jeune âge en situation de dépendance soit dans leur famille ou en institution. 

« Toute personne humaine a le droit et l’aspiration à s’affirmer elle-même comme personne, à entrer en relation avec son entourage et à participer, fût-ce de façon infime ou discrète, au monde qui l’entoure, en étant, précisément, respectée par lui comme une personne. Très particulièrement pour celles des personnes que le regard social tend le plus ignorer ou à dévaloriser[1] .»

Denis Piveteau

L’art un espace d’expression et de création

Faire la proposition d’entrer dans une aventure artistique, que ce soit par le théâtre, la peinture, le travail d’écriture, de la terre, qui ne soit pas à visée thérapeutique, est une possibilité de vivre pleinement une expérience de création personnelle et à plusieurs.
Création, cela signifie que l’on développe quelque chose de singulier, d’original, qui n’existe pas avant. Dans la création artistique, l’objet de cette création est de transmettre à travers une œuvre, une esthétique, une forme, la vie intérieure des hommes, leurs sensibilités… L’art nous parle, en effet, de ce que vit l’homme, de ses aspirations, de ses échecs, de sa grandeur et de sa vulnérabilité, de sa beauté…, tant au niveau personnel qu’au niveau de nos sociétés. Il est présent dans toute l’histoire de l’humanité, depuis les peintures rupestres, passant par les grandes tragédies grecques et jusqu’à nos jours.

Alors, pourquoi choisir le théâtre ? Le théâtre fait partie des arts du spectacle vivant, c’est-à-dire qu’il implique d’être réalisé en direct devant un public. Chacune des représentations est unique, et il se crée une interaction entre le public et le comédien. C’est un lieu de rencontre et d’échange.
Il est aussi un art communautaire, c’est-à-dire qu’à la différence du peintre ou de l’écrivain seul en face de sa toile ou de sa page blanche, le comédien, pour pouvoir exercer son art, ne le fait pas seul. Il joue avec d’autres comédiens, un metteur en scène, des régisseurs… et le résultat de l’œuvre donnée dépend de chacun. En cela, il est une école de vie ensemble.

L’expression de soi par le théâtre

Dans le théâtre, l’instrument de création du comédien est sa propre personne, qui devient le support du personnage et le véhicule de ses émotions. C’est pourquoi cette possibilité doit être accessible à tous. Elle ouvre aussi à des langages d’expressions divers, qui sont parfois plus appropriés que le langage verbal, et contribue à vivre pleinement des émotions et à les donner. Offrir à des personnes en situation de handicap de développer des capacités artistiques me semble aujourd’hui nécessaire pour favoriser une meilleure autonomie, une plus grande liberté dans leur choix de vie personnelle.

La création artistique a aussi pour but d’être offerte à un public, elle est exigeante par l’investissement et l’engagement que cela demande à chacun. Elle accorde à la personne, à ceux qui l’entourent et de manière plus générale à un public de porter un regard différent sur la personne, d’en découvrir des richesses insoupçonnées et de faciliter la relation et l’acceptation des personnes dans notre société.

Dans ce travail, ils peuvent être grandis, découvrant une confiance en eux, mais aussi blessés, déstabilisés et cela peut avoir des répercussions sur leur vie quotidienne. Dans son travail, le formateur doit savoir s’adapter et avoir en permanence ce double regard, celui de la qualité artistique, mais tout autant celui du souci de la personne.

Cela nous amène à nous questionner sur les enjeux qui traversent notre société actuelle. Nous sommes dans une société consumériste bien souvent orientée sur le bien-être personnel. Il est nécessaire de favoriser aujourd’hui une reconnaissance de la personne, de l’autre, pour construire une société ensemble, et je pense que l’art peut jouer un rôle dans cette approche. En effet, l’art est un langage qui peut s’adresser à tous et qui est parfois plus percutant que des paroles. Dans toutes les époques, il est le vecteur et le témoignage de ce que vit une société et d’autant plus aujourd’hui, où nous disposons de moyens de communication et d’expression de plus en plus performants.

La création artistique, miroir de la valeur humaine

Pour les personnes en situation de handicap mental le théâtre favorise le développement des capacités de relation, pas uniquement dans un but de développement personnel, mais pour être plus en interaction avec d’autres au cœur de la société. Car c’est en favorisant des espaces de rencontre, comme le sont les espaces culturels et artistiques que peuvent tomber les barrières entre le « normal » et le « handicapé ». On a souvent peur de ce que l’on ne connait pas, mais la rencontre avec des personnes peut changer notre regard. Et c’est là ou toutes les actions ont leur importance, depuis les films à succès comme « Intouchables » en 2011, ou « Un p’tit truc en plus » cette année, jusqu’au travail dans les associations et institutions.

Alors nous dépasserons la question de l’autonomie, qui voudrait que chacun puisse tout faire par lui-même, sans avoir recours à l’autre. On ne résoudra pas le manque de relation entre les personnes en rendant chacun plus autonome, mais c’est dans une plus grande écoute et sollicitude que nous pouvons mutuellement nous soutenir et apporter des solutions aux difficultés rencontrées par chacun.

Car il ne suffit pas de uniquement définir des droits, qui pourraient nous justifier par bonne conscience, il faut aussi changer la vision que l’on peut avoir d’un homme idéal, vers lequel il faut tendre à tout prix, et que les avancées scientifiques peuvent nous faire imaginer. On a déjà beaucoup avancé pour combattre l’exclusion des personnes en situation de handicap, mais aujourd’hui si l’on veut parler d’inclusion, ce que nous devons engager est le « vivre avec ». Cela ne veut pas dire que les institutions spécialisées ne servent à rien, car ces personnes ont besoin d’aide et de soutien au quotidien, mais au contraire qu’elles peuvent être des forces de proposition pour cette ouverture.

En révélant par la création artistique la beauté des personnes, on met en lumière ce qui fait la valeur d’un homme, et que toute vie mérite d’être vécue.

[1] Denis Piveteau, Experts, acteurs, ensemble … pour une société qui change, 15 février 2022, p. 19